J'ai découvert Zingaro, théâtre équestre dirigé par le célèbre Bartabas, lorsque je travaillais en région Parisienne, au sein de son lieu de vie, à Aubervilliers. J'ai ainsi eu l'occasion d'assister à un spectacle de toute beauté, alliant, chevaux, musiques du monde, danse, émotions, artistes..., et j'en avais véritablement pris plein les yeux, les oreilles et le cœur. Quelle beauté !
Par la suite, je suis allée voir une de ses représentations se déroulant il y a quelques années, au château de Versailles, qui se basait essentiellement sur ce qu'on appelle « l'Art équestre », c'est-à-dire sur le dressage des chevaux, les différentes figures de manège... Là encore, des musiciens étaient présents et accompagnaient la grâce des chevaux, dansant sur la piste. Les étudiants de Bartabas, faisaient également des démonstrations d'escrime, de tir à l'arc et autres Arts, expliquant via une voix Off, que pour pratiquer l'art équestre, il était essentiel d'être un artiste accompli dans différents domaines.
Bartabas
Il y a environ 1 an, j'ai appris que le théâtre Zingaro donnait son tout dernier spectacle, « Ex-anima » et qu'il allait passer à Brest, en Bretagne. J'ai aussitôt acheté des places pour assister à sa représentation, sans m'être particulièrement renseignée à son sujet. La seule chose que je savais, c'était que Bartabas m'avait offert à chaque fois, beaucoup de plaisir et d'émotions. Les billets étant pris, il m'a fallu patienter avant d'arriver enfin devant son chapiteau, au Fort de Penfeld.
Sur le coup, je n'avais pas fait attention, mais en sortant de ce spectacle, j'ai observé que le chapiteau habituellement coloré et joyeux, était en fait totalement noir..., ce qui allait de paire avec l’œuvre étonnante à laquelle je venais d'assister.
Le chapiteau
Étonnante, le mot est faible. Troublante, impressionnante, désarçonnante, intense, émouvante seraient plus justes, quoi qu'encore limité, face à ce qui s'est déroulé. Je ne m'attendais absolument pas à voir et à vivre ce que j'ai vécu ce jour-là.
Le spectacle s'est ouvert sur une première scène, dans le noir, avec un troupeau de chevaux noirs et blancs, se reposant sur la piste. L'aube, se levait très tranquillement et l'ambiance était calme et paisible. Puis, un magnifique cheval arabe blanc est arrivé sur une deuxième scène, comme un second « tableau », qui galopait crinière au vent, sur un fond sonore de vagues.
Le cheval de trait au service de l'homme et de l'agriculture...
C'est au troisième tableau que j'ai commencé à comprendre ce qui était entrain de se jouer : non pas un spectacle alliant l'homme et le cheval dans une danse féérique, mais plutôt un hommage aux chevaux, qui ont toute la place dans cette représentation. Un hommage à ce noble animal que l'homme a mis à mal. Un contraste saisissant, entre la beauté du cheval, son caractère libre, sauvage, joyeux et tout ce que l'homme en a fait au travers des siècles, dénaturant cet être vivant, pour mieux répondre à ses besoins, voire à son égo...
C'est ainsi que ce sont succédés de multiples tableaux, évoquant l'utilisation du cheval dans l'agriculture, pendant les guerres, dans les mines de charbon, à l'arrivée de l'industrialisation... Autant de scènes où les chevaux étaient LES artistes principaux de cette œuvre. Des tableaux très durs à regarder, avec des mises en scènes incroyables, nous faisant prendre conscience de ce que nous, êtres humains, avons fait à ces animaux et les répercussions que cela a pu avoir sur eux.
Le cheval qui accompagnait les hommes dans les mines...
C'est alors que de multiples émotions ont pu me submerger : honte, tristesse, compassion, sentiment d'horreur face à ce passé qui est toujours présent à d'autres niveaux. Le cheval utilisé pour parader, auquel nous faisons faire des figures de haute école, pour notre propre orgueil. Le cheval, que nous faisons aujourd'hui se reproduire de manière totalement artificielle, la monte naturelle étant considérée comme trop dangereuse pour nos étalons et nos juments, ce qui pourrait engendrer des pertes financières pour l'homme...
Mais à quel moment pensons-nous aux chevaux, à ces compagnons et amis, qui sont allés jusqu'à donner leur vie pour nous ? À quel moment comprenons-nous qu'au travers ces pratiques, nous allons à l'encontre des lois de la Nature et de de l'Univers ?
Cette œuvre dans laquelle l'homme est effacé, laissant ainsi toute la place et la liberté d'expression aux chevaux, est réellement poignante. C'est ce qui, je pense, à contribué à ce que de nombreux spectateurs s'offusquent devant tant de souffrance et de non-sens, sans pour autant, parvenir à ouvrir pleinement les yeux sur cette réalité et sur leurs émotions.
L'alternance entre ces scènes parfois choquantes et d'autres plus paisibles, voire comiques, est tout simplement une œuvre qui marque à jamais, les esprits et le cœur.
Le titre de ce spectacle vivant est également loin d'être anodin : l'ANIMA, concept Jungien, a un sens bien particulier.
Voici ce qu'il en est :
« Le couple anima-animus joue un rôle important dans la « psychologie des profondeurs » de Carl Gustav Jung. Il s'agit d'une résurgence de deux termes du corpus de la philosophie médiévale. On les rencontre chez de nombreux auteurs, notamment Guibert de Nogent, où généralement ils désignent, respectivement, l'âme (anima) et l'esprit (animus) selon une hiérarchie de dignité ontologique : corps, âme, puis esprit. Le niveau intermédiaire de l'âme (anima) correspond au monde des images et semble réaliser un lien entre les deux autres niveaux.
On peut distinguer deux moments dans l'œuvre de Jung concernant la conception de ces termes. Dans un premier temps, Jung va, à travers la seule notion d'anima, tenter de redonner un sens au concept d'âme hors du schéma du dualisme cartésien corps/âme qui bloquait plus ou moins la conception de l'âme sur une définition mentaliste ou spiritualiste. L'anima sera une réalité vivante, une force d'animation, une puissance inconsciente qui porte et hante le langage conscient et la pensée rationnelle. Notamment elle sera la source de nombreuses productions d'images. Elle apparaît donc fortement liée à une pensée muette, riche en expériences intuitives et en imagination.»
On peut ainsi supposer que le titre « Ex anima », évoque alors l'idée quelque peu utopique et idéaliste, que ce passé est terminé et que l'âme des chevaux, sera dorénavant respectée et comprise par l'Homme.
Pour toutes ces prises de conscience, pour toute cette Histoire jouée par nos amis les chevaux, je tiens à dire un grand MERCI à ces artistes talentueux, audacieux et pertinents.
Merci à vous amis chevaux pour votre présence, votre dévouement, votre intelligence du coeur, qui accompagne aujourd'hui de nombreuses personnes à s'aimer et se comprendre...
Merci à vous Bartabas, pour votre audace, votre sens du théâtre et votre créativité artistique...
Merci à la Vie de m'avoir conduit à vivre ce chef d’œuvre...
Bien à vous,
Marjolaine